mercredi 25 novembre 2009

l'art du lieu commun

Une liste non exhaustive de lieux communs qui, à chaque fois qu'ils sont proférés, même s'ils ne me concernent pas directement, m’irritent, ou pire : m’énervent.
Ou bien ils me désolent, ou pire : me désespèrent…
Dans les cas extrêmes, les bras m’en tombent, ce qui, évidemment, m’empêche de peindre durant quelque temps.



*

— J’aime beaucoup ce que vous faites.
(Celui-là est tout de même particulièrement commun, et daté.
Mais d'avoir la vie dure, c'est bien le propre des lieux communs.)

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— C’est intéressant.

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— Tu vas au vernissage, ce soir ?

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— C’est moderne !

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— On aime ou on n’aime pas

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— C’est contemporain !

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— Tu aimes ?
— Je ne sais pas, je n’y connais rien…

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— Ah ? Vous êtes peintre ? Moi, mon neveu fait de la peinture aussi, ça ressemble à ce que vous faites, d’ailleurs.
(neveu peut être remplacé par fille, fils, oncle, mari, amie, nièce, fils d’une amie, caniche, etc.)

Variante :
— Ah ? Vous êtes peintre ? Vous avez fait les Beaux-Arts ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre ! Et ça marche ? Vous vendez bien ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre ! Qu’est-ce que vous faites comme peinture ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre...(Rêveuse). J’ai connu un peintre, autrefois, je ne sais pas ce qu’il est devenu…

Variante
— Ah ! Vous êtes peintre ! Vous avez de la chance... Il faut un don, vous ne trouvez pas ?

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— Et vos enfants, ils font de la peinture ?


Variante :
— Et votre femme, elle peint, elle aussi ?

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— Vous faites de la peinture... Ah ! moi, j’aime bien la peinture.

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— Regardez, c’est joli, on dirait une photo.

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— Je suis assez attiré(e) par l’abstrait.

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— Cette exposition m’a beaucoup plu. Il y avait de très beaux cadres.

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— Je n'aime pas, ça ne ressemble à rien.

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— Tiens, regarde cette toile, on dirait...

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— Si je faisais de la peinture, je crois que je ferais de l’abstrait.

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— Cette œuvre est ré-so-lu-ment contemporaine. (Bien détacher les syllabes de résolument)

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— C’est très intéressant.

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— Elle t'a plu, cette exposition ?
— Ah, oui ! Quelle belle salle !

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— Je ne mettrais pas ça chez moi.

*

— Je peux avoir un autre verre ?




Au fond, chaque banalité endommage un peu plus le silence précieux de la peinture.

mercredi 18 novembre 2009

on mélange (décidément ) tout

On (le Conseil Général) expose en ce moment le peintre Lawand à la collégiale Saint-Martin, à Angers : gros moyens, grosse promotion, affichage copieux, presse… empressée, évènements autour de l’exposition. On en attend beaucoup.

Mais pourquoi donc exposer dans ce lieu encombré de toutes ces figures pieuses qui vous regardent de haut ?!
Toutes ces saints, ces évêques, ces vierges, ces christs (pas de majuscules, c’est normal), envahissent en permanence le champ de vision, et empêchent de ressentir, de regarder même, la peinture. Impossible d’y échapper, quelle que soit la direction du regard. J’ai fait un effort, j’ai tenté de me concentrer sur la peinture, et d’éviter le religieux… j’ai cru reconnaître une vraie touche, une expression véritable, une palette, un souffle, et aussi parfois, peut-être, un certain opportunisme dans les quelques signes (de croix) qui parsèment ostensiblement certaines toiles, à la manière d’un Tapiès. Mon mauvais esprit y a vu aussitôt comme une justification de la présence du peintre dans ce lieu, ou peut-être sa manière de remercier l’organisateur d’avoir mis de tels moyens (scénographie, éclairage, suspensions, publications) à son service, puisqu’il est annoncé clairement que l’artiste a travaillé pour ce lieu.
Tel qu’il est, l’endroit n’est pas un lieu d’exposition pour un peintre, sauf si l’on met au placard tout ce fatras patrimonial pesant, et qu’on offre véritablement l’espace (magnifique) à la peinture. Si l’artiste est bien servi par la promotion, sa peinture est desservie, elle, par cette statuaire dévote encombrante.

J’irai revoir et apprécier la peinture de Lawand quand il exposera dans un lieu dédié… à la peinture, pas aux bondieuseries.


lundi 9 novembre 2009

Atelier théâtre

Ne rêvons pas, on ne surprendra jamais un artiste et son lieu dans la vérité du moment de travail, dans son désordre, son chaos personnel et quotidien, à moins d'une visite parfaitement inopinée. Lorsque les visites d’atelier sont programmées, annoncées, planifiées, promotionnées, on sait alors (mais se l’avoue-t-on ?) que les ateliers ont été arrangés pour cela. On verra bien le lieu et l’artiste, mais l’un et l’autre, pour recevoir, se seront toilettés, apprêtés, maquillés, habillés, endimanchés. Il manquera alors ce qui fait le véritable travail autour de l’œuvre.
Il faudrait, pour comprendre l’atelier, arriver par surprise, entrer sans frapper, être un visiteur sans-gêne, rompre brutalement la solitude du travail, déranger. Mais quel artiste accepterait cela ?

J’ai reçu dans mon atelier bien des fois, lors de journées organisées, ou pour des « rendez-vous d’affaires ». C’est un exercice bien particulier, très intéressant pour l’artiste, et je n’en doute pas, pour le visiteur, un véritable moment d’échange, le lieu favorisant les questionnements, aiguisant les curiosités. C’est un exercice que je pratique et pratiquerai encore à l’occasion, dans un mélange de plaisir et d'embarras.
On prépare le lieu, on se prépare, pour donner l’illusion au visiteur qu’il saisira un moment privilégié. On laisse traîner quelques œuvres en cours, quelques outils de travail, mais on prend bien soin de cacher les brouillons innommables, les échecs douloureux. On laisse à voir seulement ce qui peut se voir, on ne manque pas au passage de montrer quelques œuvres finies. L’atelier change alors de destination. Il est bel et bien devenu un lieu d’exposition. On se comporte d’ailleurs exactement comme lorsque l’on installe une exposition, on pense à l’autre, à son futur regard, on essaie de flatter ce regard. On tente aussi de créer la rumeur, la légende, de laisser des souvenirs frappants par quelques savantes installations, par quelques astuces spectaculaires qui illustreraient l’acte de création, et qui marqueraient la différence, l’originalité.
C’est bien comme du théâtre, la réalisation d’un décor, un arrangement, un artifice. Et quand le visiteur est là, l’artiste joue son rôle d'artiste, du mieux qu'il peut.

Visiter les ateliers d’artistes, comme cela se pratique de plus en plus souvent, ne manque pas d’intérêt. On peut, à cette occasion, faire de vraies rencontres avec des œuvres et, en plus de croire pénétrer dans les secrets des créateurs, on peut aussi en profiter pour apprécier et comparer les aptitudes de chacun en sa qualité de metteur en scène.

Quand la journée de visite s’achève, que tous les «intrus invités» sont partis, et qu’on revient sans son atelier, comme on le fait chaque jour, plusieurs fois, on retrouve le lieu comme violé, forcé, dérangé, on découvre partout et des jours durant les traces du passage des autres, et on le vit mal. Mais on l’a bien cherché.


dimanche 1 novembre 2009

Cena, Dagen et le Vélosolex

Je me souviens qu’au lycée, lors des devoirs de dissertation, je me livrais avec quelques amis cancres à un jeu d’écriture qui consistait à introduire le plus souvent possible un mot n’ayant strictement rien à voir avec le sujet imposé. Par exemple : "Vélosolex", dans une analyse d’un texte de Ronsard… Nos exercices de style étaient évidemment sanctionnés sévèrement par nos professeurs, mais que de fous rires à relire nos devoirs !
Je crois qu’Olivier Cena, critique (chroniqueur) à Télérama, joue aussi à ce jeu, même si c’est sans doute plus sérieux et si lui ne risque rien : manifestement, il essaie de placer les noms de «Rebeyrolle» et de «Leroy» aussi souvent que possible, quel que soit le thème de son article. Cela dure depuis plusieurs années, et bien des lecteurs doivent s’amuser à compter les points.
La semaine dernière, dans sa chronique sur l’actuelle rétrospective Soulages, à Beaubourg, il a réussi à placer les deux. Cette semaine, petite forme, c’est seulement Leroy qui apparaît. Ce sont au demeurant d’excellents peintres, des artistes très importants, que beaucoup, dont je fais partie, regrettent de ne pas voir mieux considérés par le monde de l’art officiel. Cena ne s’en remet pas, c’est sûr, mais cette injustice ne concerne pas que ces deux peintres, loin de là, alors pourquoi ne prend-il pas une position plus marquée en faveur de bon nombre d’artistes dissidents, qui manquent singulièrement de tribunes ? Je reconnais ses tentatives d’objectivité, au milieu des propositions artistiques actuelles, mais à mes yeux de lecteur, elles sont souvent équivoques, voire contradictoires.

A propos de Soulages, Cena a réussi à m’énerver (comme presque toutes les semaines, finalement) : il a trouvé l’exposition trop pédagogique ! Un comble. Cet évènement est un moment rare où un artiste peut superviser lui-même son accrochage, qui devient ainsi une œuvre à part entière. Une sorte de mise en abîme de la composition et de la recherche. Un artiste qui, simplement parce qu’il est encore là, anticipe le regard de l’autre, de celui qui regardera, pour l’aider, mais sans forcer. Il fallait juste s’arrêter pour observer les visiteurs qui entraient, allaient d’une toile à l’autre, revenaient, comparaient dates, formats, séries, et pénétraient lentement dans une peinture plutôt difficile d’accès. Comment peut-on, alors que tout le monde se plaint de la perte des repères (en art aussi), regretter qu’une exposition soit pédagogique ?
Cena a aussi un problème avec le décoratif. Ce mot fait partie de ceux qu’il insère (péjorativement) régulièrement dans ses papiers. Il y a du subliminal dans tout ça. C’est peut-être ce qui fait la nuance entre critique et chronique ?

J’ai pour ma part tendance à mettre souvent dans le même sac Olivier Cena et Philippe Dagen (le Monde), tous deux ayant apparemment (c’est en tous cas mon impression de lecteur de leurs articles) la même difficulté à prendre une position claire dans les débats autour de l’art. Pour Dagen, je comprends mieux quand je découvre qu’il fait partie des membres qualifiés à qui l’Etat a confié panier et porte monnaie (400 000 €, tout de même !) pour aller faire le marché à la dernière FIAC, et rapporter sur leurs Vélosolex des œuvres de créateurs émergents qui alimenteront les collections publiques. (Pour Cena, je comprends moins, me demandant ce qui le retient encore).
Un petit tour sur le site du CNAP(1), qui détaille la liste des artistes choisis à la FIAC, donne une excellente idée de l’esprit des décideurs. On dirait qu'eux aussi jouent à une variante de notre petit jeu : réussir à placer coûte que coûte une ou deux peintures dans les achats, sans doute pour faire taire les chagrins qui se plaignent de la mauvaise place (quand il y en a une) attribuée à ce genre dans l’art contemporain. Mais surtout, ils semblent veiller (serait-ce dans les règles du jeu ?) à ce que cette peinture ne paraisse pas moins superficielle et vide que la plupart des œuvres choisies dans les autres disciplines. Et qui compte les points ?


1 Centre National des Arts Plastiques