lundi 27 septembre 2010

Des lueurs, parfois

Une lectrice attentive a parfaitement posé la question : quand la vie tente de nous détruire, nous blesse cruellement et irrémédiablement, quand notre regard en revient pantelant, épuisé, ébranlé, devenons-nous alors plus exigeants, ou bien plus indulgents ?

Doucement, très lentement, les besoins vitaux se manifestent à nouveau : peindre, écrire, lire, écouter, regarder. Le retour à l’atelier ne peut se réaliser que par un travail instinctif, à l’opposé de ce que je pratiquais avant. L’écriture, elle, ne s’est jamais interrompue. Elle s’est même plutôt développée, sous plusieurs formes, correspondance, journal, notes. Je la devine plus sévère, devant se resserrer. La lecture, en revanche, s’était absentée brutalement, et ne réapparaît que tout petitement, dans la mesure amoindrie des possibilités de concentration. Quelques livres m’y ont fait revenir. Parmi eux : les dialogues du Louvre, de Schneider, relatant des promenades au Musée en compagnie d’artistes du 20è siècle (Miró, Chagall, Zao Wou-Ki, Soulages, Van Velde et d’autres…) qui portent des regards étonnants sur les œuvres d’hier. Je crois que ces textes parlent en définitive de filiation artistique. Mais ils posent aussi presque tous la question du rapport, de l’accord ou du désaccord entre format et sujet. Certains reprochent sa dimension au Radeau de la méduse, d’autres l’estiment parfaitement adaptée.

Un autre texte a réanimé la lecture : le journal d’Henri Bauchau, que je lisais déjà attentivement depuis des années. Aujourd’hui, il s’agit de celui des années 1998 à 2000, intitulé Passage de la bonne graine. Cet auteur a commencé l’écriture de son journal parallèlement à ses romans, dès 1960, et accompagnait ainsi la mort de sa mère (Journal de la déchirure). Dans une écriture simple et profonde, ces pages longent la vie et débordent de réflexions, de sentiments, de références, elles sont d’une justesse et d’une ressource intellectuelle incomparables.

Plus d’exigence, encore plus. Jusqu’à l’intransigeance ? Je retourne progressivement regarder l’art des autres. Et lui demande encore plus de profondeur, de richesse, de personnalité, d’individualité. D’humanité. Si je ne trouve pas tout cela, je méprise, ou me mets en colère, a fortiori lorsqu’il s’agit de mon propre travail. Dans un article précédent, en juillet, j’évoquais une exposition se tenant au Quai, à Angers, démonstration de la vacuité, du tape-à-l’œil et de l’opportunisme d’un certain art contemporain. Au même endroit aujourd’hui se tient celle d’Ousmane Sow, jusqu’au début d’octobre. Voilà selon moi ce qui est l’exigence, la justesse, l’humanité. Coïncidence : je trouve en lisant Bauchau une évocation d’une exposition marquante de cet artiste, sur le Pont des Arts à Paris en 1999. Evènement pour lequel j’avais fait le déplacement, et qui m’avait enthousiasmé autant que troublé. L’écrivain, en quelques lignes, pose la question d’une possible victoire de l’empreinte occidentale sur l’art africain, s’arrêtant sur l’expressionnisme de l’œuvre de Sow, très éloigné de la stylisation traditionnelle. Et pour revenir aux thèmes abordés dans Les dialogues du Louvre, j’y vois pour ma part un emploi parfaitement approprié des matériaux, des formats et de l’espace, sans chercher à tout prix une référence culturelle plastique dans le sol natal, se référant à l’histoire des peuples pour élargir au monde. Un expressionnisme simplement libre, intime, débarrassé. De plus, une œuvre que l’artiste laisse aux mains du temps, qui se charge de la façonner ou de la dé-façonner après lui. Il faut voir ce “buveur de sang et buffle” longuement, sous tous les angles, et goûter cette force élémentaire. S’attarder et partager la présence de cette famille Peulh. Malheureusement, l’installation trop regroupée des œuvres, au centre de cet immense volume architectural du Quai, me paraît bâclée. Elle donne l’impression de moyens limités (les socles cartonnés…), comparativement à ce qui avait été lâché précédemment pour “Eclaircies”, et sa bien-pensance climato-écologiste.

Clairement, je montre encore moins d’indulgence qu’auparavant, si cela est possible, pour les imposteurs, pour les suiveurs, les opportunistes, les obséquieux, les rampants. Au contraire j'en développe pour l’expression, l’honnêteté, la maladresse, pour la naïveté, pour l’enfance. Voilà pour les autres. Quant à soi-même, l’exigence n’est-elle pas signe de progrès ?

Souvenir avec sourire : “Tu as pris des couleurs”, m’a t-elle dit un soir, lorsque je revenais de l’atelier.