vendredi 5 octobre 2018

Main basse



Artiste soi-même, on devrait s'inspirer des autres artistes comme on s'inspire d'un paysage, en ne le copiant pas, mais en partant de l'émotion qu'il suscite pour composer sa propre image au moyen de sa propre expression. Ayant été récemment le sujet d'un emprunt éhonté, il me semble opportun de marquer ici la distinction entre influence et plagiat, ou entre inspiration et imitation, voire singerie. 

La désertification des idées, la stérilité créatrice poussent à des palliatifs discutables, qui s'apparentent parfois à du vol à l'arraché. En passant, l'air de rien, on s'approprie sans vergogne aucune ce qu'un artiste a pu mettre des années à construire, à atteindre, au prix d'un travail tendu, de recherches, de tentatives, découragements, efforts, etc. En passant, l'air de rien, voilà qu'un.e artiste? vient se servir et cherche, par dessus le marché, à en tirer profit, gloriole, cela sans aucun hommage, aucune référence au créateur spolié, en acceptant tout naturellement les flatteries de ses congénères qui ne se doutent de rien et certainement barbouillent un tant soit peu de leur côté, en allant voler ailleurs. Une bande organisée. 

Où se situe la frontière entre influence et copie ? Chaque artiste doit répondre dans son travail même, c'est une histoire d'honnêteté, de rapport et d'entente avec soi-même. Comment le spectateur, de son côté, aborde-t-il cette question ? Tout dépend de sa connaissance de l'art, histoire et actualité, et bien entendu du niveau de son esprit critique, de sa propension à gober ou non tout ce qu'on lui présente comme étant une œuvre.

Certaines peintures de Picasso et de Braque à la naissance du cubisme étaient indifférenciables, tout comme certaines toiles de Derain, Matisse ou Marquet à la période fauve ; seule la signature permet de les attribuer. Mais quoi de plus normal ? Aucun plagiat là-dedans : ils travaillaient ensemble, cherchaient ensemble et partageaient leur découvertes. Ensuite, ils se sont engagés dans leur propre voie.

Deux façons de remplir l'absence d'idée : plagier un artiste, ou adhérer à un groupe dont tous les membres feraient la même chose, par exemple (mais il y en a bien d'autres) ce courant actuel de peinture (dite) abstraite, en forme de morceaux de ciels, pleine de matières ostentatoires, une sorte de monde flottant sur des couleurs tapageuses à la structure (quand elle existe) et aux accords faciles, dont il est de fait impossible de reconnaître l'unicité de chaque toile, pas plus que l'unicité de chaque peintre. Cela se veut onirique, poétique, mystique, psychologiquement positif, un peu symboliste, proche des astres, lénifiant, alors on accompagne de titres ad hoc (lumières célestes, mélodies et symphonies en tous genres, etc.). C'est seulement décoratif, quand cela n'est pas trop mou. Peinture pour magasin de meubles, dans le meilleur des cas. On se met ainsi sous la protection d'un lieu commun répété à l'envi. Cela se voudrait une série, ce n'est qu'un travail à la manivelle, un formatage sans intérêt dépourvu de la moindre mise en danger ou remise en cause. 

Les Cathédrales de Monet représentent selon moi l'exemple d'une véritable série : à l'intérieur d'une recherche et d'une intention globales, chaque toile est extraordinairement marquante, et vit parfaitement seule. On reconnaît le peintre tout en identifiant et goûtant isolément chaque peinture, qui n'a pas besoin des autres pour rester en mémoire. La série complète n'en est que renforcée. 

Combien de peintres connaît-on uniquement par ce qu'ils font (sous entendu : leur peinture est reconnaissable aussitôt par les systèmes, les éléments de langage plastique, en quelque sorte) sans que le souvenir puisse en extraire nommément une seule toile, tout simplement parce qu'il est impossible d'en retenir une ? Il ne reste qu'une généralité. En résumé, entre les artistes auxquels on peut associer aussitôt une ou plusieurs œuvres, et ceux auxquels on ne peut associer qu'un ensemble, du vague, une manière que certains ont l'audace d'appeler un style, mon choix est fait.

Selon les avocats des suiveurs, on pourrait accuser de plagiat tous les peintres venus après le premier qui aurait travaillé à l'huile, car ils lui auraient volé sa technique. Le problème n'est pas là, il s'agit plutôt de la façon d’utiliser les techniques, patrimoine commun, à des fins personnelles, c'est-à-dire à la production d'images sensibles, et là, le bât se met à blesser.

Le suivi et le suiveur, grand sujet de l'histoire de l'art. Affaire de filiation, mais aussi d'emprunts de tous ordres, plus ou moins honnêtes, assumés ou non.
Le sentiment du suivi : orgueil, fierté ? Indifférence ? Ou bien dépit, blessure ? Proust se rassure : "si un autre me ressemble, c'est donc que j'étais quelqu'un". 
Le sentiment du suiveur : admiration ? Profit ? Déni ?
Si dans cette histoire le suivi prend l'essentiel des risques (tentatives, impasses, reculades, etc.), le suiveur court celui de se voir reprocher un jour un vol qualifié.

Et si comme avance La Bruyère "tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent", l'affaire se joue dans le comment ce tout peut être dit.

Peindre avec la parole d'un.e autre, et la faire sienne, misère.

vendredi 21 septembre 2018

idées courtes #30



Chardin, Ponge, la moindre des choses


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Le cerveau, enceint d'une idée, accouche bientôt d'un dessin qui grandira en toile.


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Sixième sens : critique 


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Me voyant intéressé par un bibelot qu'il expose, le brocanteur l'assure : cet objet est absolument introuvable.


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Dans son Grand Livre, une aquarelle de Carl Larsson non datée. Elle l'est pourtant terriblement.


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La valeur des couleurs n'attend point le nombre des années


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Le peintre est nu sans son chiffon


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N'aurait-on pas récemment confondu liesse populaire et hystérie collective ?


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L'inclinaison de l'italique appuie sur le mot.


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Croire : confiance aveugle, pas touche, la sourde oreille, parfois mauvais goût (imagerie et bimbeloterie), ne plus se sentir (soi-même)
Le mécréant garde la pleine possession de ses cinq sens


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Un lever de demi-lune.


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-Je peux vous prêter Bartleby, si vous ne l'avez pas lu ?
-Je préférerais pas


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Revenir de la pêche à la seiche et se faire passer pour un mécanicien.



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Le plagiat en désespoir d'idées


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Une petite goutte d'acide critique pour relever le plat.


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A voir cet artiste, son catalogue est beaucoup plus raisonné que lui.


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 Tout ce que l'on dissimule.



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vendredi 13 juillet 2018

idées courtes # 29




La médiocrité en peinture est bien souvent une réalité.
L'art ne consiste pas à reproduire la réalité. 

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Être reconnu, mais pas dans la rue.

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Retrouvé mes cahiers d'écolier et de lycéen, y ai apprécié la belle lisibilité de l'écriture. Celle des carnets d'aujourd'hui n'a plus rien à voir, littéralement, ou plutôt rien à comprendre. Relecture impossible ou presque de ces manuscrits chaotiques et urgents. Et si je tendais à l'abstraction ? 

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Ma peinture, à mi-chemin entre Orient et accident.

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L'anosmique, ne pouvant sentir personne, est de ce fait un misanthrope pathologique. 

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La peinture est devant soi. 

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J'ai lu l'Éloge de la lenteur en moins de vingt minutes.

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Anti-portrait 
Peintre non figuratif, non-abstrait, non-impressionniste, non-constructiviste, non-conformiste, non-sacré (sacré peintre), non-romantique (trop tard), non-académique, non mais !, non-expressionniste, non content de peindre il parle, ni maniériste ni matiériste, matérialiste un peu, il s'en faut de quelques lettres, non-préraphaélite, non-post-moderne. 
Pas davantage moderne, ni renaissant, plutôt reconnaissant (il a ses maîtres), pas classique, pas paysagiste, pas recommandable ni fréquentable, ne travaille pas sur commande, pas nouveau, pas brut, pas d'avant-garde, pas davantage d'arrière, pas naïf (on ne la lui fait pas), pas réaliste mais fort lucide, pas modeste, pas de côté.
Pas de quoi.

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Dans les livres, on se fait des idées. 

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Il en eut un jour assez de peindre en imitant le réel. Il se mit alors à imiter les peintres qui n'imitaient pas le réel. 

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Authentiquement entendu dans l'atelier, lorsqu'une élève lança à une autre qui parasitait par son bavardage mes explications professorales : "tais-toi, tu me brouilles l'écoute!"

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Dessin : le geste et sa conséquence. 


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Contrepèterie allitérative et chuintante : chacun ses choix. 
 
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Raison de climat ? La lecture de la littérature russe provoque immanquablement chez moi le phénomène de Raynaud. Les doigts blancs et trop gourds pour tourner des pages bien fines, il m'a toujours été impossible de terminer aucun livre. 

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Je propose une nouvelle orthographe pour le mot artiste, afin d'interroger dès sa lecture la légitimité des autoproclamés, des désignés, des cooptés, des nommés, des primés, des décorés, des subventionnés, des adhérents, des affiliés, des associés, et de moi-même. 
Une nouvelle orthographe à la forme inédite puisqu'elle associerait lettres et signe typographique soudés dans le même vocable, sans aucune espace sécable ou non : 
Artiste? 

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Il se développe depuis quelque temps un art? que l'on confond malheureusement avec la sculpture : celui de la figurine.
Enfance, ou puérilité de l'art ?

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Un petit tableau aperçu dans le recoin d'une salle de musée : un Dali mineur, c'est flagrant.

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lundi 18 juin 2018

Connexion particulière



 Avertissement : je propose une nouvelle orthographe au mot artiste, afin d'interroger dès sa lecture la légitimité des autoproclamés, des désignés, des cooptés, des nommés, des primés, des décorés, des subventionnés, des adhérents, des affiliés, des associés, et de moi-même. Une nouvelle orthographe à la forme inédite puisqu'elle associerait lettres et signe typographique soudés dans le même vocable, sans aucune espace sécable ou non : artiste?

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On ne me lit pas assez : une de mes récentes idées courtes : "je n'aime pas que l'on me parle des artistes que je n'aime pas" est passée inaperçue. En effet voilà que l'on m'apporte récemment une réclame pour une exposition soutenue par le service culturel de la ville, avec au recto une photographie, au verso un  texte.

Puisque l'on tient tout de même à me parler des artistes? que je n'aime pas, alors parlons-en. Fallait pas me chercher.

Photographie : il est debout, solidement planté sur ses deux jambes écartées, mains sur les hanches, l'air extrêmement pénétré, dans une attitude virile de domination, campé au-dessus des toiles couchées au sol, comme s'il se relevait d'un travail harassant ou d'un coït satisfaisant (pour lui). Le pantalon joliment taché d'éclaboussures de peinture, juste ce qu'il faut, un tout petit peu sur la chemise blanche. Image d'atelier préfabriquée, posée, arrangée, qui cherche clairement à imiter les photographies célèbres des grands artistes. Singerie. Très mauvais acteur.
Au verso de cette belle photo pleine de fausse attitude : un texte, sans doute de son cru (non signé), censé présenter le contenu de l'exposition-performance (je cite). Là, je tire mon chapeau. On avait rarement atteint un tel degré d'inanité dans le propos artistique. Il va au-delà même des pires descriptions discursives ou discours descriptifs de l'art contemporain le plus acéré. Non seulement ce texte est littérairement médiocre dans la forme, mais l'argument n'est qu'une bouillie prétentieuse qui convoque rien moins que le cosmos, pardon le Cosmos, l'art total, les sciences, et j'en passe. Un extrait parle mieux que tout :
"Il s'attachera [...] à travailler la compénétration qui peut exister entre les différents phénomènes qui l'intéressent, dans une logique globale de connexion intime au Cosmos et à son ordre et organisation". Plus loin : "L'objet de ses créations est [...] à la fois d'accompagner un phénomène de connexions, mais également de mettre en exergue les interactions qui s'opèrent naturellement entre les différents éléments constitutifs de l'Univers et auquel (sic) il prête un intérêt singulier, en se mettant d'ailleurs lui aussi en état de connexion avec eux".
Tout est du même tonneau, lourd, insistant, chargé de redites jusqu'à la garde. Le mot connexion revient six fois en une trentaine de courtes lignes. Les dictionnaire des synonymes ou des mots voisins ont tout de même suggéré à l'auteur d'employer parfois compénétration, ou interaction, ou interpénétration, histoire de lâcher un peu de lest.

La pauvreté de son vocabulaire n'a d'égale que celle de sa peinture, encore plus répétitive, aussi peu inspirée et renouvelée, mais d'une prétention analogue à sa littérature. Tout cela est très cohérent.

La performance en question consiste à habiller les murs du lieu, surfaces courbes alternativement convexes et concaves, au moyen de toiles de coton qu'il recouvre préalablement, après les avoir déroulées au sol, de traînées d’acrylique noire et blanche au moyen de balais-brosses ou d'éponges. Dans la matière encore fraîche, il intervient essentiellement par grattage à la spatule pour tracer de vagues lignes ou formes géométriques répétitives et inconsistantes, carrés et diagonales principalement, le tout sans une ombre d'expression, hormis celle de l'éponge... Pas de tension, pas de force, pas de fond, pas de sens. La superficialité faite peinture. Une fois sèches, ces pauvres toiles qui n'avaient pourtant rien demandé à personne sont fixées sur les murs de la rotonde. Serait-ce donc cela la représentation du Cosmos, de son ordre et de ses connexions-interactions-interpénétrations-compénérations avec l'artiste? ?  Voilà quoi.

Oui, pardonnez-moi, c'est un voilà quoi d'impuissance, un de ces voilà quoi abrupts qui inondent le langage d'aujourd'hui et terminent sèchement les phrases de ceux qui manquent tout à coup de mots parce qu'ils manquent tout à coup d'idées, que leur analyse tombe en panne brutalement, ou qu'ils ont décroché de leur propre réflexion. C'est bien ce qui m'arrive devant cette peinture. Il m'est impossible d'en dire plus  voilà quoi.

Très déçu par ailleurs de ma visite, car l'artiste? ne travaillait pas à ce moment, en tous cas pas sur ses toiles ; il était devant son ordinateur, pantalon impeccable, chemise et chaussures immaculées. Connecté sans aucun doute, mais pas avec sa toile.

Mégalomaniaque, il veut combler rhétoriquement le vide sidéral de sa production picturale (est-ce pour cela qu'il évoque si souvent le cosmos ?). Il cherche, après avoir singé les images d'artistes dans leur atelier, à s'attirer la sympathie du milieu de l'art contemporain en se promenant dans son champ lexical (étroit), parlant d'exposition-performance, et plus loin, il n'a peur de rien, de peinture-sculpture-installation-architecture. Excusez du peu.
Le peu réside dans son travail, et il aurait effectivement toutes les raisons de s'en excuser.
N'importe quelle toile ou sculpture digne de ce nom (une œuvre) est en soi une performance, puisque le créateur aura réussi à équilibrer tous les éléments qui la composent. C'est aussi une architecture parce qu'il lui aura fallu construire, bâtir, creuser, fonder, édifier l'idée jusqu'à sa forme aboutie. C'est évidemment une installation parce qu'elle sera exposée. Noyer des lieux communs dans un verbiage pseudo-mystico-esotérico-scientifico-intello-etc. est une spécialité du moment dont notre grand artiste? se goinfre sans vergogne. Mais bien sûr, notre cosmologique et photogénique ami parle de performance dans l'acception contemporaine du mot puisqu'il réalise ses peintures sur place (in situ, dit-on communément dans le jargon contemporain qu'il ne se prive pas de récupérer) devant le public qui voudra bien l'admirer.

Son discours se veut tellement universel qu'il en devient paradoxalement purement anecdotique, et ridicule, du même coup, autant qu'une épée dans l'eau. Il faudrait expliquer à ce monsieur que l’œuvre  d'art universelle ne s'adresse pas à tous, mais à chacun, et que jamais un artiste n'a su en la réalisant que son œuvre serait universelle. L'universel est dans l'émotion suscitée, jamais dans le discours qui cherche à la susciter.
Cela ne relève-t-il donc pas d'une prétention pathologique démesurée (en phase terminale) que d'assurer publiquement avec cet aplomb que son œuvre est universelle et illimitée ? Qui plus est, alors même qu'il est en train de la réaliser ? Il est si sûr de lui qu'il sait par avance qu'il n'y aura pas d'accident, de ratés, que ses peintures toucheront la grâce de l'universalité, à coup sûr. C'est un artiste? qui ne connaît pas le doute, le point d’interrogation accolé s'impose, il sait qu'il est un artiste? global, total. Un grand.
Allons, tout cela n'est que bavardage oiseux, qui tente de nous vendre une  œuvre? fumeuse qui fait semblant de fréquenter les hautes sphères de l'art et de l'esprit, et qui ne fait que ramper complaisamment dans la boursouflure et la frime. Une peinture désinvolte exécutée à la manivelle qui malgré ses clins d’œil appuyés (le clin d’œil est signe de vulgarité, l'hommage signe d'élégance) par le jeu de lignes minimaliste ou l'emploi récurrent d'une seule teinte et de ses déclinaisons, ni la distance nuancée de Geneviève Asse, ni la solidité spirituelle et gestuelle de Soulages, ni le dépouillement "toujours inspiré d'un fait du réel" de Degottex.

Ce que j'admire chez notre artiste? local, c'est son art de monter de toutes pièces des évènements sur une vacuité vertigineuse. Il les appelle des events, c'est tendance, et sait parfaitement les relayer via les réseaux sociaux. Bravo.
Je forme le vœu que le public ne s'y trompe pas, et que le dernier event en date s'évente bien vite, malgré la durée incompréhensible de l’exposition-performance (3 mois !), comme s'il fallait combler vide et torpeur estivaux  par vide et torpeur artistiques. De ce point de vue, l'exposition est une réussite.

samedi 19 mai 2018

idées courtes # 28

D'abord toucher un mot. Puis, j'ai deux mots à vous dire. Si la suite est logique, le discours sera long. 

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Les blasés, les désabusés, les désenchantés, aux illusions définitivement égarées et non réclamées, ceux-là ont une influence néfaste sur le moral des ménages, donc du pays. Un impôt sur les revenus de tout ne découragerait-il pas de tels comportements ?

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Certains achètent des œuvres pour les placer au dessus du canapé et ainsi leur tourner le dos. 

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Sous-entendu sur les ondes cet hiver
Cette année encore l'épidémie de grippe est arrivée très tôt. Pour éviter de l’attraper, des gestes simples peuvent être adoptés : lorsque vous éternuez ou toussez, couvrez-vous la bouche ou le nez avec votre bras à usage unique, puis jetez-le dans une poubelle fermée. N'oubliez pas de vous laver la main restante avec du savon ou une solution hydro-alcoolique. 
Ceci est un message du Ministère de la santé et du bon sens. 

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S'est formé voici quelques années sur les vestiges de l'art brut un courant appelé « art singulier », qui compte de plus en plus d'adeptes et apparaît par conséquent de moins en moins singulier. Il a ses artistes, mais aussi ses galeries, son magazine, des critiques à son service (belle contradiction), son réseau de communication, ses points de vente. Il sombre, alors qu'on espérait la pluralité du singulier annoncé, dans le lieu commun le plus attristant. 

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Exact vs juste

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Marier les couleurs pour le meilleur ou pour le pire ? 

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Autoportrait inclusif (1)
Il existe une catégorie d'artistes qui cultivent peur image en posant fièrement et à leur initiative tout apprêté·e·s devant leur toile, pour un beau cliché qu'il·elle·s s'empressent de diffuser partout où il·elle·s le peuvent. De là à en déduire que leur peinture ne suffirait pas à les révéler, il n'y a qu'un pas que je franchis sans hésitation aucune. 

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Autoportrait inclusif (2)
Si comme je le pense chaque toile (quel que soit son sujet) est une forme d'autoportrait, il y a dans ces photographies satisfaites de l'artiste posant coiffé·e tout·e propre devant son tableau comme une redite, un reflet réciproque de la superficialité du peintre femme ou homme et de sa peinture.
Un pléonasme de l'insuffisance et de la vacuité.
De ce point de vue, l'égalité des sexes est respectée.

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Silence papier

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Un musicien vegan refusera toujours de taper le bœuf. 

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Difficile d'être à la fois chauve et romantique. Car alors comment laisser les cheveux flotter au vent sombre devant les immensités agitées ?

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Ces dames aquarellistes aiment par-dessus tout travailler dans le mouillé. 

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Espoir (1)
Plus tôt je mourrai, plus vite je serai reconnu.

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Espoir (2)
Il peut être artiste, celui dont je n'aime pas l’œuvre. Le goût n'a rien à voir dans cette question de la définition de l'artiste. D'ailleurs, je n'aime pas particulièrement ce que je fais. Je travaille seulement pour devenir.

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Le siège de la Société Française de l'Aquarelle se trouve à Cucuron. Ce qui ne m'étonne pas une seconde.

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Je travaille à l'atelier le plus sombre de mon temps.

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Les peintres copieurs de cartes postales sont petit à petit remplacés par les peintres copieurs d'images trouvées sur l'Internet. La pauvreté d'imagination est à la pointe du progrès. 

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Cette toile, dite abstraite, aux couleurs bleu outremer et jaune citron sortant du tube puis posées au couteau raclé de haut en bas et de gauche à droite, déjà vue des dizaines de fois dans d'autres lieux et sous d'autres signatures, a-t-elle pour modèle un perroquet, ou a-t-elle pour auteur un perroquet ?

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Certains souhaiteraient voir la peinture exposée définitivement au Musée des Vieux Métiers, d'autres résistent. 
Je viens de  m'inscrire à un club de paintball. 

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Dessin au trait d'encre : le repentir ne pardonne pas, n'en déplaise à quelques dévots. 

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Peindre ? Parler à un mur.

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dimanche 15 avril 2018

Pour qui se prend-on ?


Les domaines artistiques ont la vertu de soulever questions larges et proposer réponses libres, diffuses et incertaines, l’ensemble évoluant entre des bords vivants et sensibles, sans généralités, questions et réponses essentiellement attachées à l’individu et à sa personnalité, et non à des injonctions de quelques bien-pensants à notre place.

Partons cette fois d’une anecdote : la visite récente de l’ « exposition nationale de la société française de l’aquarelle » dont la dénomination, d’emblée, me gêne quelque peu aux entournures. J’ai en effet toujours pensé qu’une réunion de peintres en société était au fond une contradiction, que c’est aller contre nature, pour un artiste créateur, que de se constituer en association de ce type ou d’y adhérer. Car une société impose ses dogmes, un règlement, désigne ses membres selon des critères très arrêtés. Or, il me semble que le travail n’est véritablement artistique que s’il se libère des doctrines, des communautarismes, des idéologies, s’il suit un chemin individuel, détaché, non imposé sauf par l’artiste lui-même, s’il s’affranchit des techniques qui ne sont finalement que des moyens. Voilà l’impression que me laisse cette exposition des aquarellistes : c’est un étalage de moyens, toujours les mêmes, au service des pires clichés de la peinture pour tous. Qui plus est, ils revendiquent un statut d’élite artistique, comme si l’aquarelle était le summum en la matière, une technique plus noble que toutes les autres, tellement noble et pure qu’on ne se mélangerait pas aux autres, au risque de se souiller…
Cette soi-disant noblesse n’empêche pas de faire se côtoyer l’inévitable peintre abstrait aux couleurs saturées et gratuites, à la fameuse composition en croix oblique et décentrée, le mont Saint-Michel sous des ciels variables mais tellement déjà vus, les fleurs épaisses et kitsch tout droit descendues de boîtes de chocolats écœurants, les animaux de compagnie et de calendrier des postes qui, s’ils m’accompagnaient, me feraient déserter la maison et prendre rendez-vous chez le vétérinaire pour une piqûre qui abrègerait leur vie, les portraits « ethniques » recopiant laborieusement des photographies dénichées sans doute sur quelque site internet, des illustrations fantastico-naïves et surchargées, et j’en passe. Tout ce qui n’est pas (de mon point de vue, dois-je le préciser ?) de l’art est rassemblé ici, et rien que pour cela, la visite valait le déplacement.

Cette exposition est une heureuse coïncidence puisque je l’ai parcourue au moment même ou un peintre et sculpteur solitaire, soucieux et plein d’interrogations, s’intéressant à mes articles, me demande un point de vue sur la légitimité que l’on aurait à se prétendre artiste.
Pour ma part, j’ai toujours eu une grande difficulté à répondre « artiste » à la question « que faites-vous dans la vie ? », et je pense pouvoir expliquer ainsi cet embarras : ayant entendu tellement d’autres personnes s’annoncer comme tels avec une grande assurance (même sans qu’on leur demande !) et immense prétention alors que, connaissant leur travail, je ne les classais pas dans cette catégorie, j’ai sans doute peur, par une autre forme de prétention, plus discrète celle-ci, de leur ressembler…
Je n’imagine pas un cordonnier ou un médecin ressentir la même gêne à avouer sa profession ; la légitimité viendrait-elle alors de la formation ? Impossible de retenir ce critère : un artiste sortant d’une école aurait-t-il plus de valeur qu’un autodidacte ? Alors qu’un médecin autodidacte… 
Qui est artiste, qui ne l’est pas ? Il y a autant (ou aussi peu ?) de marqueurs pour définir l’artiste qu’il y en a pour définir l’art. En réalité, chacun possède, cultive et fait évoluer ce qu’il pense être l’art, ce qui en fait un concept mouvant, indécis, changeant, que l’on peut manipuler à sa guise, entre la valise et le fourre-tout, où l’on entasse ce que l’on veut en fonction des contrées que l’on parcourt.

On pourrait penser les institutions bien placées pour décider du statut d’artiste, puisqu’elles possèdent les lieux, les finances et le pouvoir ; mais ce n’est pas suffisant, car elles sont souvent orientées, s’appuient sur les courants porteurs (ou les créent), et sont dirigées par des gens dont la légitimité est parfois discutable. Elles représentent en réalité l’académisme actuel et font naturellement l’impasse sur les créateurs éloignés des réseaux officiels.
On pourrait également, pour savoir qui est qui, se reposer sur un organisme à priori neutre tel que la Maison des Artistes, habilité à recouvrir leurs cotisations sociales. Organisme dont le seul critère d’assujettissement ou d’affiliation est un critère de revenus. Il s’agit donc là du statut administratif. On y trouve aussi bien des copieurs de cartes postales, des barbouilleurs du dimanche et des jours fériés, que des chercheurs profonds et intègres. Et les barbouilleurs vendent souvent bien…
Autre piste : serait-ce le marché de l’art qui fait l’artiste ? Parfois peut-être, mais il fait aussi le fumiste, souvent.
Autres pistes, encore : le comportement, le paraître, la panoplie, l'uniforme, la réputation, l'apparence soigneusement entretenue, et tous les clichés véhiculés par ou sur l'artiste. N'oublions pas qu'un jour ou l'autre l’œuvre sera orpheline de son créateur et devra se débrouiller sans lui.

Non, personne ne va décider à ma place de qui est ou n’est pas artiste.

Mon artiste fait œuvre sienne, pas celle d’un autre. Il est un créateur, pas un suiveur ni un copieur, ne fait pas dans la singerie. Ainsi, il est original sans le chercher, développe naturellement et involontairement sa personnalité à partir de ses influences, il travaille honnêtement et ne se plie qu’à ses propres exigences. Il est seul. Dès lors qu’il suit des codes, des préceptes, qu’il se fourvoie dans des groupes plus ou moins sectaires, qu’il se soumet à des règlements d’artistes, alors non, ce n’est pas mon artiste. Mon artiste invente, réinvente, risque, tente, suit ses propres idées, car il en a, ne les suit plus, en fait germer d’autres, qu’il suivra peut-être à moins qu’il ne revienne sur ses pas. Mon peintre (artiste) ne se spécialise pas, il n’est pas aquarelliste, ou pastelliste, ou opportuniste, il est peintre. Il ne se répète pas ou alors en creux, en avançant au fond. Il évolue, il se remet en cause, il ne peint jamais en pensant à une éventuelle vente. Il sait que sinon, tout est perdu. Mon artiste ne fait pas le même tableau depuis trente ans, mon artiste fait une peinture qui l’engage. La peinture qui n’engage à rien, gentille, proprette, décorative, démonstrative, anecdotique, formatée pour le chaland, elle n’est pas pour mon artiste. Mon artiste a ses humeurs, ses failles, ses drames, ses obsessions et il en parle à mots couverts par l’encre, par la couleur, par la terre, le bois ou la pierre. Mon artiste se parle, se raconte à lui-même, il ne dit rien aux autres. Les autres devront supposer mais son œuvre les y engage. Mon artiste n’a pas de message, il essaie seulement de comprendre ce qu’il fait là, tous les jours dans son atelier. Il cherche pourquoi il ne peut être que là, et ce questionnement profond suinte dans son travail.
Mon artiste ne fait pas nécessairement une œuvre qui correspond à mon goût. Le goût ne devrait pas être un critère. C’est le sens, le contenu, l’intérieur, le dedans, le dessous, l’expression, le poids, la force ou la fragilité, le tremblement, le tempérament, l’humanité qui font œuvre d’artiste. Si mon artiste ne délivre pas de message, il donne un sens à son travail.   

Méfions-nous des « autorisés »  qui nous disent qui est artiste et qui ne l’est pas. Gardons avec nous nos propres critères mais sachons ne pas les figer. Qui donc se révèle derrière cette peinture, ou plutôt dans cette peinture ? Parfois je n’y trouve personne, comme dans cette exposition d’aquarelle et de rien d’autre. Personne, seulement de la technique, seulement la surface, la démonstration, l’ego. Tous ces peignants grégaires autour d’un mot d’ordre me font frémir. A croire qu’ils ne boivent que de l’eau parce que c’est écrit dans le règlement. Leur art n’en est pas puisqu’il se fonde sur une doctrine. C’est en tous cas mon opinion, mais je n’empêche personne de considérer ces fadaises comme de l’art.


Aurai-je répondu au courrier de ce sculpteur inquiet ? Non, j’ai répondu pour moi. A lui, à chacun de répondre à sa propre question, d’affirmer ses choix artistiques, de trier, de dire qui sont ses artistes. Chaque individu confronté à une œuvre peut, quelle que soit sa culture artistique, quel que soit son parcours, décider qu’elle est d’art ou non. Si elle ne provoque qu’admiration technique ou si elle favorise les « c’est joli » béatement exclamés, alors on est en droit de douter de la dimension artistique. Si elle touche une corde sensible, si elle retient, si elle donne envie d’en savoir plus sur l’auteur, ou de dépasser la surface pour aller un peu plus au fond, si elle nous apprend à la regarder, ou nous révèle en même temps qu’elle se révèle, alors il y a sans doute de l’art. Allons voir.

mardi 27 mars 2018

Entrée libre, mais...


Madame, Monsieur,

Vous avez visité librement cette exposition, librement et gratuitement. Soyez remerciés de l’intérêt que vous avez porté à l’artiste et aux œuvres qu’il a souhaité vous montrer. Mais êtes-vous allés un peu plus loin, ou un peu en-dessous ? Vous êtes-vous demandé comment cette liberté et gratuité de regard ont été possibles ?
Allez-vous au cinéma, au concert, au théâtre gratuitement ? Vous sortez de cette exposition, votre regard empli de couleurs, de formes, d’émotions peut-être, offertes par l’artiste. Offertes. Pas imposées. Car à moins d’avoir été invité par l’artiste lui-même, vous êtes entré de votre plein gré.
Il me semble important, au risque d’entacher un peu votre plaisir, d’attirer votre attention sur le fait que tous les intervenants qui ont œuvré directement ou indirectement à cet évènement, pour que vous soyez accueillis, guidés, que l’espace soit agréable, que les œuvres soient mises en valeur de manière cohérente, ont été rémunérés pour leur travail ou leur service. Pour exemples : la collectivité locale qui a loué la salle à l’artiste, les employés et techniciens qui installent ou entretiennent, la compagnie qui assure le lieu et les œuvres, l’imprimeur des affiches et des supports, l’agence de communication, l’encadreur, le viticulteur ou négociant représenté au vernissage, etc. Tous, sauf l’artiste. Lui qui a rémunéré tous ces intervenants, il doit, parce que c’est la coutume — une bien étrange coutume — proposer l’entrée libre à cette exposition, et par dessus le marché, s’entendre parfois dire que le prix de ses toiles est trop élevé !
Vous seriez-vous déplacés, seriez-vous entrés s’il vous avait fallu débourser 3 ou 4 euros ?
Comment l’artiste vit-il ? De ses ventes exclusivement. Ventes évidemment hypothétiques, dépendantes tantôt de coups de cœur, tantôt d’actes de spéculation. Dépendance aux ventes qui peuvent, pour certains artistes, influencer leur travail, la nécessité de vendre pouvant parfois les pousser à prendre moins de risques, à proposer un travail plus accessible, plus facile, plus grand public, ou dans la tendance du moment… Ventes, donc,  qui doivent dans un premier temps couvrir les frais engagés pour organiser l’exposition. Doit-on ensuite parler du coût de fabrication, des matériaux, des outils, de l’atelier et de son entretien, des cotisations obligatoires, de l’imposition, etc. ? Non, ce serait trivial. Parlons seulement du travail quotidien, patient, méthodique, acharné, que représente la réalisation d’une toile, et l’autre travail non moins quotidien, patient, méthodique et acharné qu’il faut abattre pour qu’elle parvienne jusqu’à votre œil, exposée dans de bonnes conditions.
Dans nos provinces, il y a pléthore de propositions d’expositions, dont la plupart annoncent une entrée libre et gratuite. Expositions de groupes, salons, galeries, professionnelles ou associatives, ou expositions personnelles d’artistes (amateurs ou professionnels) désirant montrer et proposer à la vente leur travail (ce qui je le rappelle nécessite d’être identifié socialement et fiscalement, ce que beaucoup d’amateurs ignorent plus ou moins volontairement, mais c’est une autre question…).
Dans le premier cas, les expositions collectives, salons, etc., on peut se demander comment les organisateurs peuvent récupérer l’investissement financier. Le sait-on ? Souvent, ce remboursement est assuré au moins partiellement par la participation même des artistes, à qui l’on demande des droits d’accrochage, ou une adhésion obligatoire, ce qui revient au même. Ensuite, un pourcentage est prélevé sur les ventes.
L’artiste qui ne vendra pas en sera pour ses frais, alors que l’organisateur aura rentabilisé l’affaire. Pour peu qu’un sponsor soit partie prenante, c’est l’organisateur qui en bénéficiera directement, pas les artistes.
Mais d’où vient cette habitude des entrées gratuites à la plupart des expositions locales ? Voici une proposition de réponse : depuis toujours, des municipalités permettent à des associations, des groupements d’artistes du cru d’exposer en mettant à disposition des locaux, afin de favoriser les initiatives. En soi, rien de mal là-dedans. Sauf que depuis toujours, ces expositions sont un mélange confus de pratique amatrice et professionnelle. Et si l’on veut que ces évènements aient un certain succès populaire, il est nécessaire que l’entrée en soit gratuite (il est rare que l’entrée des vide-greniers soit payante…) On ne regarde pas la qualité de l’exposition, mais l’évènement, que l’on veut convivial avant tout, suffit à déplacer les visiteurs (mes voisins sont artistes !), qui ne s’engagent pas beaucoup, sauf à perdre éventuellement une heure. Et puisque les salles sont octroyées indifféremment aux artistes amateurs et aux professionnels, ces derniers sont bien obligés de suivre les habitudes ancrées, au risque, sinon,  d’accrocher leurs toiles dans des espaces dans lesquels personne n’entrera.
Autre raison possible à cette gratuité installée : les subventions qui permettent à des institutions de proposer une culture accessible à tous en favorisant l'entrée libre. Subventions évidemment couvertes par l’impôt.
Ma question est la suivante : quand les amateurs d’art accepteront-ils que l’entrée d’une exposition d’un artiste professionnel puisse être payante ? À quand les artistes plasticiens rémunérés lorsque l’on les utilise en produit d’appel pour une manifestation locale ? On leur fait croire que le simple fait de les exposer est une magnifique promotion, mais cela ne les fera pas manger, et ne leur permettra pas forcément d’acheter châssis, papiers, toiles et couleurs pour continuer. Pourquoi rémunère-t-on sans hésiter les artistes en résidence — c’est même très tendance, et jamais les artistes plus discrets, plus inhibés, moins expansifs, seulement accrochés, seulement représentés pas leur travail fini ? On finance plus facilement la démonstration que la monstration, on subventionne facilement la recherche quand elle est spectacle, rarement quand elle est discrètement inscrite dans l’œuvre aboutie.
Vous avez librement visité cette exposition, peut-être vous y êtes-vous nourris, avez-vous été touchés, garderez-vous ne serait-ce qu’une image avec vous. Emotions et souvenirs sont en accès libre. Profitez, c’est cadeau.